Points de vue | Perspectives

Vers une industrie de la mode durable : entre greenwashing et véritable engagement

Les initiatives « durables » des marques de mode tout au long du cycle de vie du vêtement. 

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Introduction

2013 : le Rana Plaza s’effondre, laissant sans vie plus d’un millier d’ouvriers. Ce drame met en lumière les conditions déplorables des petites mains du textile et éveille la conscience des consommateurs sur les sombres dessous de la mode dite « fast fashion » (travail des enfants, salaires indécents, volume horaire, insalubrité, usage de produits nocifs…). Nombre de scandales se multiplient ces dernières années. Le dernier en date : celui du groupe Boohoo, mastodonte de la mode britannique. Le rapport de l’association de défense des droits des travailleurs, Labour Behind the Label, publié en 2020, l’accuse d’« esclavagisme moderne ». Faisant notamment appel à des fournisseurs à Leicester – ville du Royaume-Uni comptant un millier d’ateliers textiles – les articles pourtant estampillés made in UK sont fabriqués par des ouvriers payés 3,50£ de l’heure, bien en dessous du minimum légal[1]et ce, dans des conditions précaires. Et pourtant… le scandale est vite oublié : le groupe affiche une augmentation de ses ventes en 2020 et connaît un succès grandissant auprès des jeunes, pour ses prix plus qu’accessibles et ses nouveautés permanentes…

Si les conditions de fabrication des articles textiles sont effectivement pointées du doigt, l’impact environnemental n’en demeure pas moins un sujet prioritaire. La production des matières premières, le recours à des polluants chimiques et la pollution des eaux douces, le transport et évidemment l’aspect jetable de la mode ont un impact désastreux sur l’environnement. Chaque année, l’industrie textile émettrait 1,2 milliard de tonnes soit environ 2 % des émissions globales de gaz à effet de serre.[2] C’est plus que les vols internationaux et le trafic maritime réunis. En 2050, le secteur textile émettrait même 26 % des émissions globales de gaz à effet de serre si les tendances actuelles de consommation se poursuivent.[3]

Face à ces réalités et confrontée à l’éveil des consommateurs, la mode doit se transformer pour valoriser des conditions de fabrication plus justes et diminuer son impact environnemental.
Réduire le nombre de collections, valoriser les matières naturelles et moins polluantes, relocaliser sa production au plus près de ses clients, se tourner vers le recyclage des matières, donner une seconde vie aux vêtements, nombreuses sont les initiatives à explorer tout au long du cycle de vie du vêtement…

Matières premières et production textile

Nombre de marques affichent récemment un flot d’affirmation « éco-responsable », « naturel », « respectueux de l’environnement » qui perdent le consommateur. Mais qu’est-ce qu’une matière éco-responsable ? A chacun sa définition… Evidemment, être éco-responsable ne se résume pas à recycler des vêtements usagés et fabriquer des t-shirts en coton bio…

Matières synthétiques

Certaines enseignes comme H&M clament leurs initiatives à travers de nombreuses campagnes en faveur de l’environnement (H&M Conscious, Climate Positive 2040..). Si le géant suédois a déjà éliminé 11 substances chimiques prioritaires de sa fabrication, des efforts restent à faire. Malgré le développement d’une gamme en coton biologique, mise en avant dans ses campagnes, le reste des pièces est composé à 60 % de polyester, fibre textile issue de l’industrie pétrolière et matière la plus produite dans le monde (39,7 millions de tonnes en 2015).[4]

Au global, les fibres synthétiques représentent 2/3 des matières produites du secteur textile avec le polyester en tête (55 %), suivi par la polyamide (5 %), l’acrylique (2 %) et l’élasthanne.

Si les fibres dérivées du pétrole ne requièrent pas l’exploitation de terres agricoles et leur consommation en eau est inférieure à celle des fibres végétales, elles requièrent de grandes quantités d’énergies fossiles (pétrole, gaz) et leur production consomme beaucoup d’énergie. De plus, elles ne sont pas biodégradables et les vêtements en matière synthétique relâchent des microfibres plastiques à chaque lavage… D’ailleurs, les fibres et les fragments sont les types de microplastiques les plus fréquemment retrouvés dans de nombreuses espèces (Burns et Boxall 2018), dont des invertébrés, des poissons, des mammifères, des oiseaux…[5]

 Par exemple, des microplastiques ont été détectés visuellement par Beer et coll. (2018) dans 20 % des 814 poissons de la mer Baltique qu’ils ont étudiés. 93 % de ces microplastiques étaient des fibres…[6]

Matières végétales

Le choix des tissus est alors primordial : si le coton, matière naturelle, est la deuxième fibre textile la plus utilisée après le polyester (environ 25% de la production textile mondiale), la culture de cette plante implique la consommation d’importantes ressources (pour la production d’1kg de coton, entre 5 400 et 19 000 litres d’eau sont nécessaires)[7] et l’utilisation de pesticides et d’agents blanchissants nocifs pour l’homme et l’environnement.

« La production d’un seul jean nécessite entre 7 000 et 11 000 litres d’eau, soit l’équivalent de 285 douches. »[8]

Mieux vaut alors privilégier l’usage du coton biologique et de fibres naturelles moins chargées en fertilisants chimiques et pesticides et dont la culture est moins gourmande en eau. En effet, la culture du coton bio permet d’économiser jusqu’à 91% d’eau par rapport à la culture du coton traditionnel.
D’autres alternatives au coton existent comme le lin : cette plante ne nécessite pas d’irrigation, se contentant de l’eau de pluie, et peu voire pas de pesticides ; elle est produite à 80% en Europe et la France en est le premier producteur mondial (production mondiale de 150 000 tonnes par an)[9][10]. Elle ne représente cependant qu’1% des fibres textiles utilisées dans le monde.

Matières artificielles

Présentées comme des alternatives au coton et au polyester, les fibres artificielles sont obtenues à partir de ressources naturelles telles que la cellulose de : bambou, maïs, soja, eucalyptus… Même si ces matières sont biodégradables, elles impliquent le recours à des produits chimiques très toxiques tels que l’hydroxyde de sodium, l’acide sulfurique et une substance centrale, le disulfure de carbone.
Ce liquide hautement volatil et inflammable peut provoquer des maladies graves pour les populations aux alentours des usines de fabrication. Parmi ces fibres artificielles, le lyocell est produit avec de la cellulose d’eucalyptus et est préférable à la viscose car les solvants naturels non toxiques permettant de transformer le bois en fibre sont recyclés à 99 %. Ainsi, les polluants ne sont pas reversés dans les eaux usées.

Matières animales et substituts

La filière du cuir évolue également, notamment avec les tannages végétaux ou le développement de types de peaux comme celles des poissons issus de l’industrie agroalimentaire récupérées par Cuir Marin de France – leur empreinte carbone serait plus faible que celle de la vache. Un intérêt grandissant est porté aux substituts 100 % végétaux, à l’image du Pinatex, un composé de fibres de feuilles d’ananas. Certaines marques comme Stella McCartney renoncent au cuir animal pour être en adéquation avec les valeurs qu’elles prônent (bien-être animal…).

Aller plus loin…

Quelles seront les prochaines innovations textiles plus écologiques ? Les filières textiles travaillent avec des ingénieurs qui ne viennent pas de l’industrie du tissu, ce qui élargit le champ des possibles. A partir de déchets de l’agroalimentaire, sont obtenus des teintures propres et des matériaux naturels qui possèdent les mêmes propriétés respirantes ou déperlantes que certains synthétiques. Par exemple, les tee-shirts de Pangaia sont fabriqués à partir d’algues marines et traités à l’huile de menthe poivrée. La fraîcheur longue durée de ces fibres évite les lavages trop fréquents et permet d’économiser jusqu’à 3 000 litres d’eau par an !

Quelques leviers actionnables pour répondre aux enjeux de demain…

  • Privilégier les matières naturelles peu gourmandes en eau, comme le lin, le coton biologique
  • Favoriser l’utilisation de labels comme le Oeko-Tex 100, certifiant que le produit textile ne contient pas de produit chimique nocif pour la santé
  • Contrôler l’origine et le mode de production des matières
  • Privilégier des matières recyclées
Conception : rythme de production et renouvellement de collections

La crise du COVID-19 a impacté le rapport au temps et à la créativité de certaines marques, notamment du luxe. Ainsi, Saint Laurent, conscient de la conjoncture actuelle et des changements radicaux qu’elle induit, décide d’instaurer son propre calendrier de collections et ne présente pas ses collections dans le cadre des calendriers officiels de l’année 2020. Gucci suit le pas de Saint Laurent en annonçant sa volonté d’abandonner la saisonnalité et de présenter deux défilés par an.

Evidemment, le sujet de réflexion est nécessaire pour la fast fashion dont le volume de production est nettement supérieur aux maisons de luxe. Par exemple, Zara démultiplie ses collections, proposant des centaines de nouveautés par semaine, ce qui créé une hâte et incite les clients à revenir fréquemment en boutique.

Pour Pascal Morand, président exécutif de la Fédération de la haute couture et de la mode,  « nous sommes typiquement dans une contradiction contemporaine. Comment concilier une dimension de croissance avec un fond de lenteur absolue ? La force du luxe français est de tenir dans la même main cette dialectique bicéphale et de marier ces deux contraires. Plus généralement, nous vivons deux tendances structurelles lourdes, la digitalisation de l’économie et le développement durable. Ce qui est en train de se passer n’est pas un catalyseur mais un accélérateur. Dans cette situation incroyablement nouvelle, il va y avoir naturellement des variations sur la manière dont vont s’organiser les présentations aux acheteurs lors des showrooms. »[11]

Une approche plus frugale ne permettrait-elle donc pas une mode meilleure ? La production à la demande pourrait être une solution à l’accumulation des stocks et à la démultiplication des collections. C’est d’ailleurs le modèle économique sur lequel repose la marque de chaussures espagnole Alohas. Une collection est lancée en moyenne tous les 23 jours, qui est disponible à la demande sur le web pendant trois semaines avec une réduction de 30%, puis de 15% pendant les cinq semaines suivantes. Ce cycle de remises « inversé » récompense l’anticipation du consommateur : plus l’achat est effectué tôt, plus le rabais est important. En contrepartie, le client doit patienter entre 30 et 50 jours pour recevoir sa paire de chaussures. Les stocks excédentaires sont ainsi évités en fin de saison et le nombre d’unités en prévente est égal au nombre d’unités en production.

Si d’autres entreprises ne fondent pas leur modèle économique sur la production  à la demande, elles peuvent s’appuyer néanmoins sur des systèmes de production de masse automatisée en circuit court, comme celui de la start-up française Tekyn[12]. Pour simplifier, Tekyn aide des marques, comme La Redoute ou Camaïeu, à ajuster leur fabrication en fonction des pièces et des quantités vendues les semaines précédentes. Cette solution au problème de stock pourrait permettre aux maisons européennes de rapatrier leurs productions asiatiques. En effet, l’augmentation des coûts de main d’œuvre serait compensée par une meilleure productivité.

Quelques leviers actionnables pour répondre aux enjeux de demain…

  • Limiter le nombre de collections à l’année
  • Explorer des modèles de production à la demande et des cycles de remise inversés
  • Ajuster la production en fonction des pièces et quantités vendues précédemment
Création et fabrication

Découpe et couture

L’étape de découpe des habits peut être largement améliorée. Actuellement, elle génère entre 20 et 30 % de chutes. Les surplus apparaissent donc régulièrement au fil des collections. C’est alors aux designers de repenser en amont la production, de manière à utiliser intelligemment les tissus et de limiter les déchets. Par exemple, Loewe optimise son processus de création et, à travers le « surplus project »[13], présente des cabas de cuir tressé, fabriqués à partir de chutes de cuirs colorés provenant des archives de la maison.

Le choix du tissu, des accessoires (boutons, rivets…) et des motifs ont des conséquences sur la fin de vie du produit (désassemblage et recyclage). Par exemple, un jean ne peut être recyclé qu’à 30 % en raison des nombreux points durs (coutures) et des accessoires en métal. La marque de jeans français 1083 propose par exemple des jeans pour enfants conçus pour être réparés, avec des jambes démontables en cas d’accroc aux genoux[14]. De plus, privilégier les tissus mono-matière facilite le recyclage, tout comme le fait de substituer les imprimés à base d’encres synthétiques par des motifs tissés ou brodés.

 

Conditions de production

 

Si la délocalisation de la production textile a permis d’offrir de nombreuses opportunités d’emploi, en majorité à des femmes, dans les pays en développement – près de 75 millions de personnes travaillent dans les industries du vêtement, du cuir et de la chaussure dans le monde entier – ces emplois sont précaires et souvent informels. En 2019, une enquête effectuée par Public Eye auprès de 45 enseignes internationales de la mode révèle qu’une majorité des travailleurs des chaînes d’approvisionnement ne perçoivent pas un salaire suffisant pour pouvoir vivre, c’est-à-dire, couvrant leurs besoins et ceux de leur famille tout en laissant une part de revenu discrétionnaire. Ce salaire vital n’est assuré dans pratiquement aucune des usines des enseignes étudiées.

Know the Chain a publié un rapport, « 2018 Apparel and Footwear Benchmark »[15] qui détaille, sur près de 43 entreprises du secteur de la mode, les risques du travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement. Deux tiers d’entre elles obtiennent un score inférieur à 50/100 et près d’un quart réalisent un score inférieur à 10/100. D’ailleurs un rapport du groupe de réflexion Australian Strategic Policy Institute (Aspi) avait précédemment désigné certaines marques comme H&M de participer à « l’esclavagisme moderne ». En raison de ces allégations de travail forcé des Ouïghours, H&M avait annoncé qu’il cessait toute relation avec un production de fil chinois et qu’il ne s’approvisionnerait désormais plus en coton venant du Xinjiang, la plus grande zone de production de coton chinoise.
Les bas salaires et travail forcé ne sont malheureusement pas les seuls problèmes subis par les petites mains. De nombreux accidents ont eu lieu dans les usines textiles du monde entier et témoignent des risques de sécurité et de l’insalubrité des bâtiments. Quelques progrès ont eu lieu depuis le drame du Rana Plaza. Au Bangladesh, l’accord ratifié pour sécuriser les bâtiments et protéger les ouvriers commence à porter ses fruits – sur 1 600 sites visités, 227 ont finalisé leurs procédures d’amélioration. Cela dit, il reste encore beaucoup de travail à accomplir, surtout à l’heure où les marques délocalisent leur production jusque-là chinoises en Ethiopie, un marché au salaire moyen très faible.
La sélection des fournisseurs et leur surveillance par les marques deviennent alors des actes symboliques. Bien que les chaînes de production et relations avec fournisseurs soient parfois obscures, le renforcement du devoir de vigilance a été mis en lumière récemment, et les lois vont en ce sens. En 2017, par exemple, la France a voté une loi sur le devoir de vigilance des multinationales.

Quelques leviers actionnables pour répondre aux enjeux de demain…

  • Repenser le patronage et réemployer les chutes de tissu
  • Favoriser une production proche de son marché de consommation
  • Limiter le nombre d’intermédiaires, stabiliser le parc de fournisseurs et mettre en place des audits réguliers
  • Etablir des procédures d’achats strictes et constituer une charte
  • Assurer la traçabilité des filières
Optimisation du transport

Une des solutions afin de réduire l’impact environnemental des productions textiles est de proposer des vêtements fabriqués au plus proche du consommateur, du « made in France »… L’atelier Tuffery confectionne des jeans en Lozère et limite ainsi son bilan carbone lié au transport. Mais pas seulement : l’entreprise cherche également à limiter son impact en ayant recours à des matières issues de circuits courts. Certains de ses pantalons sont conçus à partir de fibres de chanvre produites localement. Autre initiative, dans le Gers : des agriculteurs se sont lancés dans la culture de coton et proposent, avec leur entreprise Jean Fil, des polos 100 % français (de 95 à 120 euros). Ils estiment que leurs vêtements parcourent 20 fois moins de kilomètres que des productions réalisées notamment en Asie.[16]

« Un jean peut parcourir jusqu’à 1,5 fois le tour du monde, du champ de coton à la boutique »

Même si la production ne peut se faire au plus proche de ses clients, il existe des approches alternatives. A titre d’exemple, Sézane a compensé 100% des livraisons clients en 2019. La marque a mis en place un outil de pilotage TMS (Transport Management System) afin de mieux piloter ses livraisons et favoriser certains transports moins émetteurs de gaz à effet de serre (transports ferroviaires, maritimes et routiers). Sézane minimise dès que cela est possible la part de l’avion. Pour les livraisons finales, 100% des livraisons parisiennes sur le dernier kilomètre sont opérées en transports électriques ou au gaz naturel et en vélos cargos avec Chronopost.[17]

Avec le développement de l’e-commerce, le sujet du transport va de pair avec l’optimisation des emballages : le suremballage des produits (polybag, cartons…) et la taille des colis deviennent problématiques. Sézane s’engage aussi à diminuer la part des packagings et des plastiques dans ses colis. Certains packagings ont été supprimés, permettant la réduction de plus de 60% des boîtes Maroquinerie et Bijoux. D’autres procédés de mise en boîte permettent également à la marque de réduire le taux de vide de ses colis et ainsi réduire l’empreinte lors des transports.

D’autres sociétés commencent aussi à proposer des alternatives avec la réutilisation des emballages d’envoi ou l’utilisation de matière écoresponsable pour protéger les vêtements. Par exemple, Vestiaire Collective porte un projet avec Tekyn[18] de nouveaux matériaux, SKFK et Picture Organic proposent les colis réutilisables de Repack. Aussi, côté français, les emballages de colis Hipli ne demandent qu’à être réutilisés.[19] Il suffit de les glisser gratuitement dans n’importe quelle boîte aux lettres ou point relais : retour à l’atelier normand pour réutilisation.

Quelques leviers actionnables pour répondre aux enjeux de demain…

  • Identifier les étapes de transformation de la matière pouvant être relocalisées
  • Optimiser la chaine logistique et rationaliser les chargements
  • Optimiser la taille et le poids des emballages, s’assurer de la recyclabilité des divers éléments de l’emballage, penser des emballages multi-usages éco-conçus,
  • Privilégier les transports respectueux de l’environnement
Vente et communication transparente

Dans quelles conditions nos vêtements sont-ils produits ? Par qui ? Comment les prix sont-ils fixés ? Les consommateurs sont formels : une mode responsable et durable passe par davantage de transparence. Les plus petites structures ont été les premières à anticiper cette volonté. Sur son site e-commerce, Veja, à travers une section intitulée projet, fait figure de transparence, en affichant les détails de processus de fabrication, la dimension éthique du projet mais également ses limites. La marque va même jusqu’à publier les contrats signés avec ses fournisseurs de coton biologique.

Sur son site Internet, Maison Standards affiche ses coûts de production et de commercialisation. Aux Etats-Unis, des marques comme 3×1 Denim et Zero Waste Daniel combinent espace de vente et studio de création dans lesquels les clients peuvent assister au processus complet de fabrication des vêtements. Également, la marque The Reformation invite ses clients à visiter son site une fois par semaine.

Cependant, la limite entre transparence et stratégie de communication peut être fine. « Communiquer, y compris sur ce qu’elles n’arrivent pas encore à faire, devient un prétexte chez certaines marques pour ne pas toucher à leur modèle économique », déplore Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Ethique sur l’étiquette[20]. Par exemple, H&M, renseigne sur son site la provenance de chaque article, jusqu’à l’adresse de l’usine sous-traitante… Si la publication de ces informations encourage effectivement plus de transparence, ces informations ne fournissent aucune donnée sur les conditions de travail des ouvriers.

Quelques leviers actionnables pour répondre aux enjeux de demain…

  • Communiquer sur la durabilité et sur la production auprès des clients (ex : augmentation de la part des matières « éco-responsables ») – cette communication s’inscrivant dans une démarche durable globale
  • Assurer la traçabilité des produits et faire preuve de transparence en renseignant les matières, les lieux de production, les conditions de fabrication tant que possible…
  • Limiter les périodes de solde
  • Réduire l’impact environnemental des lieux de vente
Consommation, réutilisation et seconde vie

La destruction des stocks est une pratique courante, en particulier des maisons de luxe, qui souhaite ainsi préserver leur image et contrôler les circuits sur lesquels les produits sont vendus. Burberry a notamment été épinglé pour avoir brûlé un stock d’invendus d’une valeur de 30 millions d’euros, soit l’équivalent de 20 000 trenchs coats[21]. Chaque année, entre 10 000 et 20 000 tonnes de produits textiles sont détruits et disparaissent ainsi du circuit en France selon le ministère de la Transition écologique et solidaire[22]. Pour éradiquer ce gaspillage, la France s’engage à devenir, d’ici à 2023, le premier pays au monde à interdire la destruction des vêtements. Sous peine de sanction financière, les marques seront contraintes de recycler ou de céder leurs invendus. Une vaste réorganisation des filières de collecte s’impose et de nombreuses initiatives dites d’économie circulaire sont à explorer.

réemploi du stock : déstockage

Les plateformes de déstockage ne connaissent pas la crise, la loi allant dans leur sens avec l’interdiction de la destruction des stocks et profitant des effets positifs de la pandémie sur leur activité (hausse des achats en ligne, extension de l’offre…). Effectivement, si les marques de vêtements et commerces accumulent les stock d’invendus – du fait de la fermeture de magasin et d’horaires restreints, de la limite des personnes en magasin, d’une consommation en magasin à la baisse etc… –, la pandémie est bel et bien profitable pour les plateformes de déstockage. Showroomprivé a ainsi augmenté de 30% le nombre de marques partenaires en 2020. L’entreprise anticipe un bénéfice avant impôts supérieur à 30 millions d’euros en 2020 contre -31,4 millions en 2019[23].
Pratiquer le déstockage limite ainsi la destruction de ces stocks et participe à une économie plus vertueuse et une mode plus durable. C’est aussi l’occasion pour les personnes ayant moins les moyens d’acquérir parfois des vêtements de marque de plus grande qualité, auxquelles elles n’auraient pas accès sinon.

réparation

Conserver un vêtement pendant neuf mois supplémentaires permettrait de réduire la consommation de carbone, de déchets et d’eau de 20 à 30 %. C’est pourquoi la marque de vêtements Patagonia propose un programme pour faire réparer ses vêtements gratuitement. Cette marque s’engage à réduire l’empreinte carbone de ses produits et propose depuis trois ans une tournée de réparation baptisé Worn Wear Tour[24]. À bord de leur roulotte, l’équipe de Patagonia sillonne l’Europe pour offrir à chacun la possibilité de réparer un vêtement et de recevoir des conseils et astuces pour apprendre à le faire soi-même. L’initiative a permis de raccommoder plus de 100 000 pièces en 2019.

location et usage

Les marques peuvent ne plus proposer de vendre le produit mais l’usage de ce produit. La valeur symbolique de propriété est remplacée par la valeur fonctionnelle d’usage. De plus en plus d’entreprises émergent sur base de ce modèle permettant ainsi de faire face à la valse des tendances modes, aussi rapides et éphémères soient elles, et lutter contre la constitution de déchets. Ainsi, par des systèmes d’abonnements, les consommateurs peuvent choisir de nouvelles pièces chaque mois et renouveler leur garde-robe. Par exemple, Bocage propose un service de location « L’Atelier Bocage » à ses clients : pour 29 ou 34 € par mois, les abonnés peuvent changer de chaussures tous les deux mois[25].

Valorisation des déchets et surcyclage

Le concept de surcyclage, plus connu sous son nom anglais d’upcycling, est théorisé dans les années 90 par Reiner Plitz. C’est « l’action de récupérer des matériaux ou des produits dont on n’a plus l’usage afin de les transformer en matériaux ou produits de qualité ou d’utilité supérieure ». Par exemple, la marque de vêtements Les Récupérables s’inscrit dans cette démarche et travaille selon les principes de la revalorisation textile. La marque ne produit pas de matière mais donne une seconde vie au linge de maison, rideaux, fins de rouleaux (par exemple, rachat de fin de rouleaux de la marque Caroll) et matières techniques (par exemple, tissu non-conforme de vêtement de travail) achetés auprès de fabricants partenaires français[26]. La marque Le Coq Sportif a décidé, quant à elle, de se tourner vers des déchets agroalimentaires. La marque tricolore a lancé une gamme de chaussures dont la tige est en cuir végétal, obtenu à partir de résidus de raisin issus de la production de vin ou de grappa et transformés en pâte.

SECONDE MAIN

L’économie circulaire passe aussi par le marché de la seconde main, qui n’a plus rien à voir avec la friperie d’antan. Selon le rapport de l’IFM, ce marché, qui pesait 21 milliards d’euros en 2018 aux États-Unis, pourrait plus que doubler d’ici trois ans, et même dépasser les achats de fast fashion d’ici à 2028[27]. En France, ce marché représente un milliard d’euros.

« En 2019, plus d’un Français sur trois a acheté de la seconde main, soit deux fois plus que l’année précédente. » donnée Kantar – Panel Worldpanel [28]

Si la vente de produits d’occasion n’est pas un phénomène nouveau, elle est désormais prise en main par les entreprises elles-mêmes. Cette initiative imprègne peu à peu les stratégies des marques déjà bien installées comme Gémo (groupe Eram) qui ouvre des espaces de vente d’occasion « Seconde Vie by Gémo » en magasin. Bocage, à travers ses corners « Comme Neuves », propose à la vente les paires de chaussures louées par les clients à « l’Atelier Bocage » après avoir été reconditionnées. D’autres marques, digital native, à l’instar de Balzac Paris, organisent la revente des pièces usagées sur leurs propres sites : elles proposent de donner une seconde vie aux pièces de sa marque en échange de bon d’achat. Il suffit de rassembler les pièces Balzac Paris délaissées, d’obtenir une offre de reprise en quelques clics et d’envoyer gratuitement les articles en question à la marque. Pas de fiche produit à créer, pas de photos à prendre… La marque s’occupe de la mise en ligne de l’article sur son site et le client reçoit un bon d’achat utilisable sur du neuf ou de la seconde main. Mais la collecte d’habits déjà portés nourrit une opposition conceptuelle entre enseignes : doit-on en faire une démarche citoyenne volontaire ou récompenser monétairement le client pour son geste favorisant la lutte contre le gaspillage ? Des marques se refusent à faire de ce geste un outil mercantile plutôt qu’un geste citoyen, quand d’autres monnaient ces collectes avec des bons d’achats.

Si les enseignes se convertissent tour à tour au marché de l’occasion, elles doivent être patientes pour espérer obtenir quelques parts de marché : Vinted, leader en France, capterait à lui seul 56% des ventes de mode d’occasion réalisées depuis l’Hexagone.

Inévitablement la transformation du marché de la seconde main impacte les organismes de collecte et relais, qui espèrent capter 300 000 tonnes de vêtements par an, soit environ 40% des quantités jetées[29] : la chute progressive de la qualité des textiles collectés est indéniable. Une chute de la qualité qui s’explique par la multiplication récente des pièces issues de la fast fashion, mais également par l’habitude grandissante de revendre sur Internet. Or, les meilleurs produits triés, alimentent les magasins de relais qui permettent de créer des emplois de réinsertion…

Quelques leviers actionnables pour répondre aux enjeux de demain…

  • Optimiser la gestion des invendus et explorer de nouveaux canaux
  • Réfléchir et proposer des services alternatifs aux consommateurs (réparation, location de certaines pièces…)
  • Réfléchir à la proposition de produits de seconde main
  • Inciter une démarche citoyenne responsable, à travers la collecte de vêtements à recycler
CONCLUSION

Conclusion

Les différentes initiatives et nouvelles directions prises par les acteurs de l’industrie textiles sont porteuses d’espoir, favorisées par différentes lois et coalitions mondiales, comme le Fashion Pact[30], (présenté dans le cadre du sommet du G7 à Biarritz en 2019), rassemblant des entreprises de la mode et textile, fournisseurs et distributeurs, engagés autour d’un tronc commun de grands objectifs environnementaux centrés sur trois thématiques : l’enrayement du réchauffement climatique, la restauration de la biodiversité et la protection des océans. Repenser la mode s’inscrit ainsi dans les grandes problématiques de notre siècle. Si la mode est bel et bien un éternel recommencement, la voie vers plus de durabilité permettra d’optimiser le cycle de vie de nos vêtements, pour le plus grand bonheur de notre planète.

Notre proposition de valeur

Repenser la stratégie

  • Explorer la viabilité de nouveaux modèles de commercialisation et de consommation fondés sur l’usage et le cycle de vie du produit

Faire un état des lieux de l’existant

  • Etablir un état des lieux des matières utilisées (part matière éco-responsable, volumes, lieux de production)
  • Etablir un diagnostic des emballages (volumes, matériaux, recyclabilité…) et évaluer leurs impacts financier et environnemental
  • Cartographier les chaines logistiques globales (distances parcourues, étapes et modes de transports utilisés, impact total)

Initier des plans d’actions

  • Inscrire des objectifs et indicateurs de développement durable lors de la conception par les stylistes et modélistes et la définition des budgets par les acheteurs
  • Créer et animer une communauté de fournisseurs pour échanger et les inscrire dans une démarche d’amélioration continue (KPIs, productivité durable, traçabilité…)

Expérimenter

  • Sensibiliser les clients aux enjeux d’une consommation durable, expérimenter des ateliers en magasin en ce sens (réparation, DIY, couture, cordonnerie, variolisation de l’artisanat etc.)
  • Favoriser le travail avec les artisans locaux (création, services de réparation et d’entretiens durables…) les former, valoriser leurs savoir-faire
  • Former la force de vente aux enjeux de développement durable et à la construction d’un argumentaire de vente autour de ces thématiques
Sources

[1] Le salaire minimum est de 8,72£ de l’heure pour les travailleurs de plus de 25 ans.
[2] https://multimedia.ademe.fr/infographies/infographie-mode-qqf/
[3] https://multimedia.ademe.fr/infographies/infographie-mode-qqf/
[4]https://multimedia.ademe.fr/infographies/infographie-mode-qqf/
[5] https://setac.onlinelibrary.wiley.com/doi/pdfdirect/10.1002/etc.4268
[6] https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969717328024

[7] http://www.jeconsommeresponsable.fr/de-a-a-z/comprendre/362-le-coton-en-quelques-chiffres.html
[8] https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/le-revers-de-mon-look.pdf
[9] https://www.planetoscope.com/matieres-premieres/1311-production-mondiale-de-fibre-de-lin.html
[10] http://www.union-agricole.fr/actualites/l-agpl-est-attentive-a-ce-qui-se-passe-sur-le-marche:WONKR2GX.html
[11] https://www.lepoint.fr/art-de-vivre/luxe-la-mode-fait-sa-revolution-02-05-2020-2373817_4.php
[12] https://tekyn.com/
[13] https://www.lvmh.fr/actualites-documents/actualites/loewe-presente-le-surplus-project-son-nouveau-concept-responsable/
[14] https://institut-economie-circulaire.fr/wp-content/uploads/2018/10/focus-textile-sept-2018.pdf
[15] https://knowthechain.org/wp-content/uploads/KTC_AF_2018.pdf
[16] https://www.jeanfil.fr/les-engagements-de-jean-fil.html
[17] https://www.sezane.com/fr/a-propos/derriere-l-etiquette
[18] https://www.groupevitaminet.com/partenariat-confectio-x-tekyn/
[19] https://hipli.fr/
[20]
https://www.lexpress.fr/styles/mode/7-engagements-pour-une-mode-ethique-responsable-et-durable_2098182.html
[21] https://www.forbes.fr/business/pourquoi-burberry-a-detruit-pour-plus-de-30-millions-deuros-dinvendus/
[22] https://www.ecologie.gouv.fr/loi-anti-gaspillage#
[23] https://www.lefigaro.fr/conso/les-magasins-de-vetements-croulent-sous-les-stocks-que-vont-ils-faire-de-ces-montagnes-d-invendus-20210205
[24] https://eu.patagonia.com/fr/fr/wornwear/
[25] https://latelierbocage.fr/
[26] https://lesrecuperables.com/pages/lupcycling
[27] https://www.ifmparis.fr/fr/actualites/etude-inedite-nouveaux-modeles-economiques-de-la-mode
[28] https://www.kantar.com/fr/inspirations/consommateurs-acheteurs-et-distributeurs/2019-textile—-achats-seconde-main
[29]
https://fr.fashionnetwork.com/news/Marche-de-l-occasion-marques-et-enseignes-a-l-heure-de-la-prise-en-main,1174734.html
[30]
https://thefashionpact.org/?lang=fr

Pagamon est un cabinet de conseil en stratégie et transformation fondé en 2013. Nous accompagnons dans leur recherche d’équilibre les principaux acteurs des secteurs de l’industrie, des services et des sciences de la vie. En les aidant à structurer leur vision stratégique, à transformer leur modèle opérationnel et/ou digital, et à piloter le changement. Afin de soutenir une croissance rentable, durable et responsable. Acteur engagé, Pagamon anime l’Observatoire de l’Entreprise Équilibrée™, articulé autour d’un “think tank” et d’une enquête annuelle. Afin d’apporter un éclairage innovant, parfois décalé, sur l’accompagnement stratégique des transformations pour soutenir la croissance des entreprises.